Par Esther Benbassa, sénatrice EELV de Paris
Guy, 60 ans, mâchoire fracturée par un tir de LBD le 1er décembre 2018. Doriana, 16 ans, menton fracturé par un tir de LBD le 3 décembre. Oumar, 16 ans, front fracturé par un tir de LBD le 5 décembre. Jérôme, 40 ans, éborgné par un tir de LBD le 26 janvier 2019. Des centaines de blessés chez les manifestants Gilets jaunes depuis le 17 novembre 2019, parmi lesquels une centaine de graves, dont la majorité par des tirs de LBD. En 2018, la police nationale a tiré plus de 19 000 cartouches de LBD contre un peu plus de 6 000 en 2017 et ces chiffres ne prennent en compte que les sept premiers actes des Gilets jaunes.
Derrière l’impersonnel nombre de victimes, il y a des individualités, des vies. Des quotidiens perturbés, des destins brisés par les violences policières. Ces LBD sont d’une extrême dangerosité. Ils possèdent une force d’impact de 200 joules, soit l’équivalent d’un parpaing de 20kg qui vous serait lâché sur le visage, à un mètre de hauteur. Ces armes mutilent, estropient et défigurent nombre de nos concitoyen.ne.s. Et souvent non pas parce que ceux-ci étaient responsables de violences, mais plutôt parce que le policier auteur du tir n’a pas employé son équipement de manière adéquate.
Au niveau national, c’est la voix du défenseur des droits qui s’est élevée pour alerter de la dangerosité des armes sublétales. A l’échelon supranational, ce sont l’ONU et le Parlement européen qui ont dénoncé la disproportion avec laquelle nos forces de l’ordre ont réprimé les Gilets jaunes. Puis c’est le Conseil de l’Europe qui a critiqué notre usage des LBD, contraire aux droits humains.
Alors qu’il devait à l’origine être employé dans des contextes de guérillas urbaines, le lanceur de balles de défense est aujourd’hui abusivement utilisé lors de manifestations.
En partant de ces constats, l’interdiction du recours aux LBD dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre doit être immédiate, et une plus grande transparence devrait être exigée quant à l’utilisation d’autres armes non-létales par nos policiers.
Comment expliquer qu’en Europe, avec la Grèce et la Pologne, nous soyons l’un des seuls États où il est encore permis aux policiers d’utiliser des LBD à l’encontre de nos manifestants ? Nos voisins ne font-ils pas face à des violences citoyennes, notamment en Allemagne avec l’infiltration de néo-nazis dans les cortèges ?
Nombre de nos partenaires européens ont choisi une approche différente dans la gestion des violences. Ainsi en Allemagne enseigne-t-on aux forces de l’ordre la philosophie de « désescalade ». Celles-ci agissent en amont, afin de prévenir toute atteinte à l’ordre public. Chez nous, on laisse les Black blocs et autres minorités violentes proliférer dans les cortèges, avant d’intervenir une fois les méfaits commis. S’ensuivent alors des répressions généralisées sans la moindre distinction entre manifestant.e.s et casseurs.
En termes d’arsenal, alors que nous utilisons des armes susceptibles de blesser nos concitoyen.ne.s, les Allemands se limitent à des dispositifs permettant de garder les foules à distance. De surcroît, nos méthodes pour contenir les violences créent une promiscuité oppressante, avec le « nassage » qui ne peut qu’engendrer une escalade de brutalité entre manifestants et policiers du fait que les premiers sont encerclés de toutes parts, n’ayant même pas la possibilité de quitter la manifestation par une rue adjacente.
Il faudrait que nous soyons capables de rétablir un échange constructif avec les manifestant.e.s en nous inspirant davantage des « Peace Units » en Hollande ou des « officiers de dialogue » en Suède. Il est d’ailleurs à noter que ces deux pays possèdent des forces de police presque désarmées et sont pourtant considérés comme plus « sûrs » que la France par le World Economic Forum. Preuve s’il en est que ce n’est pas par l’armement dissuasif qu’on instaure la paix sociale.
Il est urgent de demander au Gouvernement la remise d’un rapport sur les différentes doctrines de maintien de l’ordre existantes en Europe, afin que nous soyons à même de nous en inspirer et d’améliorer nos propres dispositifs. Une meilleure formation des gardiens de la paix et un meilleur encadrement de leurs pratiques seraient un premier pas pour qu’à l’avenir, nous puissions éviter que de nouvelles violences incontrôlées soient perpétrées. Tirons des leçons des événements tragiques du passé, dont la mort de Malik Oussekine et celle de Rémi Fraisse.
Nous, les écologistes, nous sommes des pacifistes et notre voix doit porter également pour faire cesser ces violences qui mettent en question régulièrement le droit des citoyennes et des citoyens à manifester librement et dans la confiance.